Le langage, lieu de prédilection, s’il en existe, du psychanalyste à l’écoute de la parole… parce que, grâce à elle, ‘’ça parle’’. Et ‘’ça parle’’ à lui, l’analysant, par le biais du transfert opéré sur l’analyste. Par le langage ainsi fait de paroles, de silences, de non-dits, par le choix – si l’on peut parler ici d’un choix – et la formulation des mots, l’homme peut se faire entendre dans tous les sens de ce terme. Ecoutée et entendue, la parole peut soulager l’inconscient. Elle reste l’outil le plus sûr au mieux-être, ainsi : Parler, c’est se faire entendre des Autres, prouver son existence. C’est laisser s’exprimer l’Autre, celui qui est en nous, que l’on n’entend pas, ou si mal… et c’est alors renaître. C’est agir, donc prouver le désir de vie. C’est échanger avec les Autres en utilisant l’espace du silence, c’est s’autoriser.

Parler, c’est ne pas rester « interdit », ne pas bloquer les « maux », ceux qui ont le pouvoir de diminuer, voire d’enlever tout langage, toute expression de vie. Parler, c’est – et ce me semble là, le plus bel acte – s’adresser à l’enfant qui découvre ainsi qu’il existe en tant qu’individu, c’est lui donner la parole ou encore : s’adresser à l’élève en soif de devenir, car parler, c’est avant tout « transmettre ».

Comment l’enfant, cet adulte en devenir, connaît-t-il ce sentiment, en particulier au moment de sa confrontation avec les premiers interdits? Comment, avec le sentiment de culpabilité, se ‘’prépare le terrain’’ de la névrose…

« Les enfants sont plus intelligents que les adultes ; c’est la civilisation qui rend les gens bêtes… »[1]

La névrose  entraîne un état marginalisant l’individu dans la mesure où elle renvoie celui-ci à ses fantasmes, élaborés dès le plus jeune âge dans son monde imaginaire intime, pour fuir la réalité trop difficile à vivre. Pour cette raison, la névrose rend l’être asocial. Si la civilisation est le phénomène dû à la rencontre des êtres – réunis par un choix de vie commun établi sur le respect de certaines règles et guidés par le désir de construire ensemble leur évolution dans le monde du concret – la névrose est cet autre phénomène qui repli un être sur lui-même. Le névrosé fuit la réalité, par cet acte, il se marginalise et ne prend pas part entière à la progression de la société.

Si l’approche historique de la notion de morale amène à la constatation d’un passé prédisposant l’homme au sentiment de culpabilité  – celui dont S. Freud nous dit qu’il préexiste au surmoi – c’est bien ici de conscience coupable dont  il  sera  question, c’est  à  dire  d’un  sentiment  de  culpabilité  naissant chez l’enfant lors de la mise en place du surmoi – les interdits castrateurs occasionnent souvent un sentiment de honte chez l’enfant qui se vit coupable de pulsions inavouables – ainsi que, de la culpabilité qui apparaît plus tôt, dès les premiers mois du bébé qui subit la réalité, selon la conception kleinienne.

La « conscience morale » : Ces deux termes réunis sous-entendent qu’il y a une morale à l’état conscient, que nous avons clairement à l’esprit, une idée de ce qui est ‘’bien’’ ou de ce qui est ‘’mal’’. Cette idée est née de ce que nous avons assimilé des interdits posés, elle nous permet de réagir spontanément en apportant un jugement. Cette idée du bien et du mal sera intime à chacun, ce qui semble moral pour l’un ne l’étant pas pour un autre etc… La conscience morale en bloquant certains désirs de façon préétablie, donne une ligne de conduite unique et personnelle, (car elle sous-entend : approbation ou aversion des actes en fonction du surmoi et du vécu de chacun) c’est pourtant bien elle qui va servir de base à l’éducation de l’enfant.

E. Jones [1], à l’aide des travaux de M. Klein qui ont permis de considérer les introjections – essentielles à la mise en place du surmoi – comme étant des incorporations de la réalité extérieure au moment de l’Œdipe, mais aussi des incorporations des projections du nourrisson ; E. Jones donc, apporte un complément à la définition freudienne du surmoi en mettant en avant l’importance des fantasmes et conflits du nourrisson dans le déroulement et le résultat du complexe d’Œdipe. Il insiste ainsi sur les exigences de la réalité psychiques (issues de l’imagination du bébé) qu’il considère comme étant aussi importantes, si ce n’est plus, que les exigences de la réalité physique (réalité du père). Cette théorie permet de déceler des sources de culpabilité bien avant le scénario de l’Œdipe.

E. Jones dégage, avant le sens du bien et du mal, un sentiment pseudo-moral de « devoir faire » qu’il appelle stade de l’ « inhibition pré-cruelle » d’où s’origine l’attitude morale. Sa description du surmoi est basée sur deux éléments paradoxaux (l’un statique, l’autre dynamique) ; elle dégage d’un côté le surmoi comme un objet introjecté offert au ça à la place de l’objet ‘’père’’ – l’objet ‘’surmoi’’ pourra ainsi être aimé, haï, ou craint – D’un autre côté, elle met en évidence le fait que ce même objet est issu de fantasmes exprimant une tendance instinctuelle. L’homme serait un être ‘’prédisposé’’ à la morale.


Il serait souhaitable, avant d’avoir à transmettre des règles de vie à l’enfant en lui posant des interdits, de s’assurer que certaines de nos valeurs conscientes morales n’aient pas pris source principalement dans des conflits irrésolus, produits de nos fantasmes, afin que les règles morales que nous allons lui donner soient proches et nécessaires aux règles de notre société (notre culture s’élaborant sur des fantasmes collectifs). Après la mise en place du surmoi dit primaire, l’enfant va lui-même adopter des valeurs qui lui auront été transmises, les notions ‘’convenables’’ qu’il fera siennes, en rejeter d’autres et enfin créer ses propres lois morales, celles qui régiront sa ligne de conduite et maîtriseront spontanément certaines de ses pulsions (surmoi secondaire). L’enfant qui fait une ‘’faute’’ prouve, à un moment donné, qu’il a une difficulté à intégrer les interdits posés. 

Ainsi, on comprendra que les névroses et psychonévroses n’émanent pas d’une culpabilité inhérente à l’homme mais que cette dernière est ravivée par une morale, éducatrice frustrante, qui sévit par le biais des lois parentales, sociétales, religieuses… dont le noble but est (l’intention y est sûrement au départ) d’ « élever » l’enfant jusqu’à un état adulte. Toutes sortes de comportements dus, par exemple, à la méconnaissance des mécanismes psychiques vont sensiblement accompagner cette « élévation » d’une suralimentation du sentiment de culpabilité.

Un lien intime existe entre « être en faute » et «être » en dette ; si l’enfant se croit en faute (par exemple dans un scénario inconscient peuplé de phantasmes comme l’est l’Œdipe), il va immanquablement se vivre coupable et éprouver ce bien désagréable malaise psychique, cette « angoisse devant le surmoi », qui fera naître en lui le sentiment d’être redevable. Le problème majeur résulte dans ceci : il ne sait pas à qui il doit, ni ce qu’il doit. Il ne saura probablement jamais de quelle faute il était coupable puisque celle-ci est issue d’un imaginaire archaïque. L’enfant, victime de sa nature même, devrait demander au Monde la tolérance, demander le pardon pour l’être clivé qu’il est déjà. Pardon, tout simplement, d’être né humain ? L’enfant n’a pas l’opportunité de soulager sa conscience naissante ; le malaise dû à la culpabilité ayant une source inconnue. Pour peu qu’il intègre mal les interdits, lors de la mise en place du surmoi, il sera non seulement trop douloureusement frustré dans ses désirs naissants, mais, par le sentiment de haine (fruit exutoire d’une trop forte culpabilité), renvoyé à ce malaise, c’était «déjà» de «sa faute».

Mme PÊPE Bernadette Psychanalyste Didacticienne

Suite de l’étude la semaine prochaine…