S. Freud a établi une similitude entre les coutumes tabous et les symptômes de la névrose obsessionnelle ; ces ressemblances, il les présente comme suit dans « Totem et Tabou »[1]:
« Ces points sont au nombre de quatre :
1° absence de motivation des prohibitions ;
2° leur fixation en vertu d’une nécessité interne ;
3° leur facilité de déplacement et contagiosité des objets prohibés ;
4° existence d’actes et de règles ‘’cérémonials’’ découlant des prohibitions. »

Ces symptômes, telle l’anxiété profonde due aux remords dont on ne connaît pas la cause, le sentiment d’être le débiteur d’une dette impossible à payer, ou encore les actes compulsionnels (rituels, actions expiatoires), sont comme une description amplifiée du malaise qu’entraîne la culpabilité endogène. Il semble que l’homme soit, ‘’via’’ le sentiment de culpabilité archaïque, prédisposé à la morale qui, de par sa nature, donne naissance à la névrose. Etudier l’évolution des comportements archaïques, qui révèlent la façon dont l’homme s’est défendu de ses craintes issues de tout ce qu’il n’expliquait pas, apparaît comme indispensable à l’étude de l’appareil psychique et de ses comportements névrotiques.

Une notion de culpabilité indispensable à la vie sociale :

S. Freud établit le lien entre la culpabilité endogène – qu’il pense héritée de l’expérience universelle – et la culpabilité apparaissant lors de la mise en place du surmoi. La première, issue de l’histoire archaïque de l’espèce, a donné naissance à des lois morales posées par les premiers hommes contre certaines de leurs pulsions sexuelles, celles qui auraient mis en danger la survie du Totem. Ces interdits auraient comme source, l’angoisse de castration. Les frères envieux de la toute puissance paternelle, ont donc tué le père pour s’arroger ses pouvoirs tels que le langage, la priorité sexuelle sur la femme… Le père primitif était le représentant du pouvoir absolu ; il n’avait pas d’interdit, donc, il était hors la loi. Une fois mort, ce père tant envié passe d’un état de hors la loi à l’état de père symbolisant la loi et posant les interdits.

Le parricide symbolise la faute, les interdits étant, pour leur part, constitués de tous les actes que s’autorisait le père (libertés enviées par les fils) actes qui, dorénavant, ne devront plus être imités sans qu’apparaisse une culpabilité due au souvenir de l’acte criminel

S. Freud présente cette première faute comme ‘’enracinée’’ dans la conscience humaine peut-être par une transmission faite de comportements et de gestes archaïques devenus coutumiers puis inconscients, suggérant en eux même la faute et reproduits ainsi depuis des siècles. Mais pour accepter cette vue des choses, il faudrait que ces comportements aient eu une importance considérable dans la vie de l’homme d’alors, et ce pendant une très longue période de l’histoire. Ces comportements se sont-ils transformés en symptômes névrotiques au fil du temps, avec l’oubli de leur raison d’être ?

Cette notion de faute est accompagnée de celle de l’interdit par la théorie dégagée de l’Œdipe. Il apparaît là, que la vie psychique de l’homme commence par l’interdit et la faute, notions indissociables de la notion de culpabilité qu’elles engendrent.

Un passé individuel et un passé collectif :

Nous savons à quel point le vécu de l’individu est essentiel à la psychanalyse, nous voyons là que l’introspection de ce vécu ne peut parfois se faire qu’avec la prise en compte d’un autre passé, celui de l’histoire humaine. En effet quelquefois, dans le cadre d’une démarche analytique, seule l’histoire d’une culpabilité antérieure à l’individu peut aider à la compréhension de l’intensité que prend ce sentiment chez lui. Toutefois, Freud précise que ce n’est pas l’outil essentiel de la cure analytique: « L’héréditaire (l’instinctuel phylo-genétiquement transmis) n’a pas la première place en psychanalyse, qui s’occupe d’abord de l’acquis individuel. »[1]

Deux points de vue indispensables à une approche analytique du sentiment de culpabilité : celui issu de l’étude historique de la culpabilité et celui qui étudie le sentiment de culpabilité individuel au travers des mécanismes psychiques.

L’étude de l’évolution partant d’une faute archaïque et amenant à une notion de culpabilité peut servir de trame à l’étude de la transformation des premiers sentiments coupables de l’enfant en symptômes névrotiques.

[1]          « Sigmund Freud. Index thématique » (1918 b) A. Delrieu, éd. ANTHROPOS.

Pour comprendre les mécanismes psychiques, on doit tenir compte : de l’histoire généalogique de l’individu, de son milieu socioculturel et de sa cellule familiale mais on peut dire de la même façon que, pour comprendre l’histoire de l’humanité, on doit tenir compte et s’aider de la structure psychique de l’individu…                                                                                                                        La culpabilité est à l’origine du déplaisir interne à la sexualité :

C’est à l’origine du déplaisir interne à la sexualité humaine que nous renvoient les travaux de S. Freud qui a pu établir, ainsi, une traçabilité de la culpabilité endogène.

L’homme, à l’origine recroquevillé sur lui-même, est progressivement parvenu à la station debout. Cette évolution a éloigné et transformé les relations qui existaient entre ses zones anales et ses zones buccales et pharyngiennes entraînant un refoulement organique naturel. « De ce refoulement organique résulte inexorablement une mutilation de la sexualité… Ce refoulement porte sur le ‘’souvenir’’ de l’ ‘’objet puant’’. C’est ce souvenir qui constitue comme tel une excitation d’origine interne, source de déplaisir. »[1]

[1]« S. Freud. Index thématique »(Lettre à Fliess du 14 novembre 1897) A. Delrieu, éd. ANTHROPOS.

Il serait souhaitable, avant d’avoir à transmettre des règles de vie à l’enfant en lui posant des interdits, de s’assurer que certaines de nos valeurs conscientes morales n’aient pas pris source principalement dans des conflits irrésolus, produits de nos fantasmes, afin que les règles morales que nous allons lui donner soient proches et nécessaires aux règles de notre société (notre culture s’élaborant sur des fantasmes collectifs). Après la mise en place du surmoi dit primaire, l’enfant va lui-même adopter des valeurs qui lui auront été transmises, les notions ‘’convenables’’ qu’il fera siennes, en rejeter d’autres et enfin créer ses propres lois morales, celles qui régiront sa ligne de conduite et maîtriseront spontanément certaines de ses pulsions (surmoi secondaire). L’enfant qui fait une ‘’faute’’ prouve, à un moment donné, qu’il a une difficulté à intégrer les interdits posés. 

Ainsi, on comprendra que les névroses et psychonévroses n’émanent pas d’une culpabilité inhérente à l’homme mais que cette dernière est ravivée par une morale, éducatrice frustrante, qui sévit par le biais des lois parentales, sociétales, religieuses… dont le noble but est (l’intention y est sûrement au départ) d’ « élever » l’enfant jusqu’à un état adulte. Toutes sortes de comportements dus, par exemple, à la méconnaissance des mécanismes psychiques vont sensiblement accompagner cette « élévation » d’une suralimentation du sentiment de culpabilité.

La suite de cette étude vous sera proposée très prochainement…

A.P  Psychanalyste   Membre de la Société d’Études Psychanalytiques



[1]          « Totem et Tabou » S. Freud, éd. PAYOT.